Les Potter’s s’interrogent sur l’origine des langues

Salle Pierre Glet – Jeudi 4 avril, 18 heures. Compte-rendu René-Louis Le Goff

Plutôt que de rédiger un improbable compte-rendu exhaustif de cette réunion judicieusement initiée par Yannick, je me propose de rappeler les points qui m’ont paru les plus saillants de cette soirée consacrée à la problématique de l’histoire des langues. Ils seront, je crois, autant d’accroches pour prolonger fructueusement, au-delà du 4 avril 2024, cette réflexion sur l’origine et la pratique des langues. Car, contrainte par le temps, une heure et demie, la programmation de la soirée aura sans doute frustré plus d’un-e de ne pouvoir profiter de la présence de Jean-Luc Laquittant (JLL) pour réagir à son exposé, échanger avec lui sur un sujet qui passionne manifestement les Potters, puisqu’ils auront été nombreux à se déplacer pour écouter sa communication. Celle-ci a fait référence au travail de recherche que JLL a mené sur l’origine de la langue gallèse, publié dans l’ouvrage :
LE GALLO D’OUYOU QU’I VIENT ? L’histoire du français, du gallo, du breton et de nos langues régionales.
Éditions Les oiseaux de papier, 2015.

Orateur talentueux, JLL a rapidement captivé son auditoire, rapportant avec beaucoup d’érudition des faits historiques, situés aux XIe et XIIe siècle, depuis longtemps attestés, auxquels son récit, émaillé de « petites histoires » savoureuses, aura donné beaucoup de relief. Chacun-e aura retenu comment Guillaume Le Conquérant se sera fait un nom en envahissant l’Angleterre, et qu’avec ses soldats parlant « roman », ils auront inévitablement laissé quelques mots de leur parler en outre- manche, en ramenant au « pays », réciproquement, une « full » de mots et d’expressions de la Grande Bretagne. Toutes les politiques de colonisation, continuées plus pacifiquement par la pratique du ...tourisme, sont autant d’occasions d’aller (belliqueusement jadis, ou amicalement aujourd’hui, encore que tout cela soit relatif) les uns chez les autres, et de partager nos manières de dire l’univers, de le causer, dès lors que dire les choses c’est les faire exister, et exprimer sa vision du monde.

JLL a su resusciter avec beaucoup d’érudition les faits historiques, en sachant jouer d’un humour nonchalant, justement apprécié par l’auditoire. Tous ces faits sont réunis dans son livre, sans qu’il ne soit nécessaire de les rappeler à nouveau. Ce sont leurs conséquences sur le plan linguistique qu’il importait ce soir de mesurer, sur lequel Yannick aurait sans doute souhaité que l’on y consacrât plus de temps.

L’on peut penser qu’un échange avec le « public » aurait fait émerger des questions qui auraient pu manifester des points de vue, sinon divergents, en tout cas différents, sur l’approche très romanesque, choisie par J.L.L pour expliquer l’origine de la langue gallèse, bien avant que le français ne devienne, sous le règne de François 1er, la langue administrative et juridique de la France, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts signée en été 1539). Comme en témoignent Yannick et Jean-Luc, et Maria (et bien d’autres avec eux, présents dans la salle) le Gallo a résisté à la langue royale, qui est elle- même passée par bien des états, avant de devenir « la » langue de la République.

Les guillemets : « La » langue française (mais il en va de même du Gallo, du Breton, du Corse, ...) est, à vrai dire, introuvable, car nous parlons tous du français, sans qu’aucun de nous puisse prétendre parler « Le » Français dont la « beauté » (encore un critère non pertinent dans le domaine linguistique) ne tient pas à une pureté totalement illusoire et effrayante (pour peu que l’on transpose sur le plan ethnique !!!) mais au contraire, à sa diversité.
L’Académie française, fondée comme l’a rappelé JLL en 1634, par le cardinal de Richelieu, continue, avec certes moins de pression, de développer cette conception esthétisante de la langue, et purificatrice en jugeant de son « bon usage », en en fixant le vocabulaire officiel dans « son » dictionnaire de « La » langue française. Le fait même que celui-ci évolue montre la vanité de l’entreprise... puisque des mots, un temps rejetés, deviennent acceptables. Cela dit, déterminer un usage qui permette de faire nation est parfaitement légitime, mais le faire au mépris des usages régionaux, sans compter les usages stigmatisés des classes populaires, ne peut que provoquer l’humiliation chez celles et ceux qui les pratiquent.

Cette conception de « la belle langue » ( la langue allemande ne pouvait être qu’affreusement laide, discréditée a priori, et pour cause, dès lors que ses locuteurs, appelés alors les « boches » étaient nos pires ennemis, haïssables...) tente de naturaliser l’idée absurde qu’il y aurait de « belles », et donc bonnes langues, et des langues « disgracieuses », « horribles », « répugnantes », que l’on désigne par « dialectes », et pire « patois ». Il y avait sans doute là de quoi « caoseu un p’tit » entre nous, d’autant que Yannick avait cité, en accueillant chaleureusement les présent-e-s, le livre de Claude Duneton, Parler croquant (Stock+, 1978). Celui-ci témoigne, exemplairement, de la manière dont l’école de la (3è) République, s’est fourvoyée, en pensant imposer « la » langue de la République à tous les petits français, « de Dunkerque à Tamanrasset » (De Gaulle, 1958) et au-delà de l’Afrique du Nord, sans mesurer la résistance des langues dominées dans l’empire colonial (les pays qui aujourd’hui haïssent le français), et sur le territoire national celle des langues dites régionales, appelées aujourd’hui plus respectueusement « langues de France ».

Mais, cet échange nous aurait conduit à « point d’heure » et nous aurait privé de cette succulente histoire racontée par l’illustre Maria, comme il nous aurait frustré de ce grand moment d’illusionnisme verbal dont seul les conteurs comme JLL ont le secret, mais encore de la séquence animée par Yannick sur la mise en regard d’éléments lexicaux et pour clore la soirée, de cet hommage aux amants de Saint-Jean, incarnés par Maria et Yannick, mis en chanson sous la houlette de Joelle Lemercier, cheffe de choeur. Ainsi, il fut bien confirmé qu’en France, et notamment en son Pays Gallo, « tout finit par des chansons ».

À Yannick, cheville ouvrière de cette soirée très conviviale, à notre président Stéphane, et à toutes celles et ceux qui seraient intéressés, je propose d’échanger sur la façon dont nous pourrions poursuivre cette réflexion sur les langues. Je me permets, dans cette perspective, d’ajouter deux références bibliographiques :
Jean Rohou : Fils de ploucs, éditions Ouest-France, 2005. Jean Rohou, dont la langue maternelle (la langue de ses parents) était le breton, a été professeur de lettres à l’Université de Rennes 2, sans doute l’un des meilleurs spécialistes de Racine, que j’ai eu la chance d’avoir comme professeur.
Pierre Aroneanu: L’amiral des mots, éditions Syros, 1989, préfacé par Albert Jacquart.
Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager cette préface, qui annonce tellement bien le propos, dont je vous fais cadeau du début. L’homme ne parlant pas humain, il se différencie dans le règne animal par, si j’ose dire, sa langue bien pendue, qu’illustre la diversité des langues à travers lesquelles les femmes et les hommes communiquent entre eux, marquant ainsi leur appartenance à telle ou telle communauté, telle ou telle société, mais en faisant en sorte que les frontières géolinguistiques soient le motif de satisfaire leur curiosité culturelle en allant voir (dire) ce qui se passe, de l’autre côté. Reprenant un proverbe anglais, « Good hurdles make good neighbours », Jean Gagnepain, professeur des sciences du langage à Rennes2 , nous rappelait que « les haies font les meilleurs voisins, car les tailler est toujours l’occasion de tailler (aussi) une bavette et plus, si affinités ». René-Louis Le Goff

  • Saint-Jean-la-Poterie. Une soirée mémorable de langues et de contes.
  • Compte-rendu Yannick Lemercier
Jeudi 4 avril la salle de langues du Saint John’s Potters était trop petite pour accueillir tous les Potters et leurs amis. Une quarantaine de participants étaient présents au Centre Pierre Glet pour une de ces soirées qui comptent dans les annales d’un club. Deux “guests stars” : Maria Provost la conteuse et Jean-Luc Laquittant, conteur et historien des langues.

Maria, le mois prochain, va entrer dans sa 100e année. Une fois de plus elle a émerveillé le public par son art intact de conteuse. Sa voix n’était pas chevrotante, comme souvent à cet âge, mais claire et puissante. Elle ne peut plus s’aider de ses notes car ses yeux l’abandonnent. Mais sa mémoire demeure très fidèle. Elle ne voit pas son public. Mais son public la voit et boit ses paroles. Victor Hugo qui traîne toujours dans un coin de ma mémoire me soufflait pendant sa prestation :
“Et l’on voit de la fougue aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l’œil du vieillard on voit de la lumière.”
Vous ne saurez rien de l’histoire car il fallait y être pour boire ses paroles et admirer son visage qui illuminait la salle et même ses yeux qui brillaient de mille feux. Un grand moment de bonheur pour Maria, pour nous tous. Les applaudissements ont été longs et nourris.
À la suite de Maria, Jean-Luc le conteur avait trouvé un public de choix. Quoi de mieux en effet qu’un club de langues pour conter “La véritable histoire d’Harry Potter né à Béganne, le pays des Sorciers et des Féess Nouaires”. Jean-Luc, sur son cheval Haw sû Qhëtt nous a déjà emmenés sur la lune et nous y avons cru. Ce soir, c’était son ami Henri Potrel qui nous a conduits en Grande-Bretagne à la rencontre de J.K. Rowling et nous y avons encore cru. Le talent du conteur à l’état brut. Les événements s’enchaînent, tous aussi improbables. Mais tout semble couler naturellement et on se laisse emporter entre rêve et réalité. Et si c’était vrai, comme dans Harry Potter ?
L’artiste Jean-Luc a plus d’une corde à son arc. Quelques instants plus tôt c’est l’historien et spécialiste des langues qui a ouvert la soirée. En 1066 il nous a emmenés avec Guillaume le Conquérant faire une petite visite à nos amis Grands Bretons. Cette année-là Guillaume a étendu ses terres de Normandie à ce qui allait devenir l’Angleterre. Dans les malles de ses navires il a apporté les mots de nos provinces, les mots-mères de la langue française. Jean-Luc a expliqué comment nos “rois communs” à la fois rois d’Angleterre et rois de France, ont favorisé l’émergence de l’anglais et du français aux dépends du latin qui était jusque-là la seule langue écrite. Le rôle déterminant de Henri Beauclerc premier roi à être véritablement lettré…
Cette période a laissé des traces durables dans la langue anglaise. Avec Yannick Lemercier, Jean-Luc a repris le bateau de Willem the Conqueror pour traverser le CHANË (canal), livrer quelques sacs de BRAN (son), boire une MOQ(bolée) de bière au pub, suivre une ROT’ (petit chemin, ornière), laisser quelques pièces de leur BOUGETTE ( bourse) pour ramener une BRASSIÈRE à leurs bourgeoises restées à R’don. Tous ces mots Gallo se retrouvent dans l’anglais actuel, presque intacts :
Channel - Bran - Mug - Rut - Budget - Bra.

Quant à Yannick, il est parti sur les petits chemins de Saint-Jean. Il en a ramené trois jolis cailloux, trois véritables pépites. En fait trois noms de rues : les K’nues, les Ardilliers, les Haricotiers. Le passant du XXI ème siècle croise les panneaux sans plus d’attention, les yeux rivés sur son GPS sans se douter que les mots qu’ils contiennent nous viennent du Moyen Âge et témoignent du dur labeur des potiers et des paysans de Saint-Jean d’une époque encore proche.

Les K’nues : ce mot signifierait CHÊNE en langage celtique. Maria confirme que la rue des K’nues débouchait sur les chênes du Bois Beugeais.
Les Ardilliers : vient en fait de Argiliers, les gens qui extrayaient l’argile. Avant que d’être des Potians les habitants de Saint-Jean ont d’abord été des Ardillouz. Saint Jean-les-Ardillouz c’est également très joli.
Les Haricotiers : ce ne sont pas des arbustes qui donnent des haricots. Cela désignait des gens qui faisaient un travail difficile ou qui le faisaient mal.

Pour conclure Yannick a fait un dernier détour par l’Angleterre où de nos jours le peuple comme l’élite semble parler le même langage. Pourtant Ken Loach, le cinéaste des petites gens, des chômeurs et des marginaux, dans un de ses derniers films, fait parler des financiers et des aristocrates face à de petits délinquants. Des vocabulaires totalement différents. Ces gens huppés utilisent des mots précieux d’origine française : superb, sublime, exquisite… Dans tous les pays la langue demeure un marqueur social.
Alors oserons-nous dire que cette soirée fut superbe, sublime, exquise ? Oui, bien sûr !!! Et c’est Jean-Luc qui aura le dernier mot dans la langue de chez nous : " Ça fut eun bell seirey, éyou qe l'mondd të ben bënezz "
  • Yannick Lemercier